Robert Allgayer est un spécialiste français des poissons d’eau douce, et plus particulièrement de la famille des cichlidés. Il a grandement contribué à la mise en place du modèle de rédaction des fiches de Fishipédia et a partagé de nombreuses photographies pour aider au développement du projet.
Interview
– Bonjour Robert, vous êtes reconnus comme un spécialiste français des poissons et plus particulièrement des cichlidés.
– D’où vous est venu cet intérêt pour le monde aquatique ?
Ce sont les circonstances familiales qui m’ont poussé dans ce domaine. On peut dire que j’y ai « baigné » dès mon plus jeune âge !
– Votre parcours est atypique et impressionnant. Quelles furent les principales étapes pour devenir spécialiste dans votre domaine ?
C’est lors d’un séjour militaire en 1967, que j’ai découvert pour la première fois la faune aquatique de Guyane et notamment une espèce que j’allais décrire 20 ans plus tard.
A mon retour, j’ai œuvré quelques années à l’université, attaché au Musée Zoologique de Strasbourg afin de me former pour devenir spécialiste dans mon domaine.
Les encouragements de plusieurs professeurs (B. Condé, R. Pourriot et J. Daget) furent décisifs dans ma décision de poursuivre dans la voie de l’ichtyologie (branche d’études des sciences naturelles qui étudie les poissons).
A l’époque, peu de scientifiques français s’intéressaient aux Cichlidés, ma famille de poissons de prédilection. Je pouvais donc y consacrer mon énergie sans entrer en concurrence avec le monde « officiel » des scientifiques.
– Quelle fut la première espèce que vous avez décrite ? Comment s’est passée cette expérience ?
La première espèce décrite fut le Nannacara aureocephalus (Guyane française). Les circonstances de mon voyage de 1967 n’avaient pas donné la possibilité de ramener cette espèce en France. A l’époque, seul le livre « Poissons de Guyane française » de Joseph Puyo y faisait référence.
Début 1980, un ami s’est rendu en Guyane. Il m’a ramené quelques spécimens qui m’ont permis de rédiger sa description. À la même période, j’ai entrepris d’autres travaux en lien avec les cichlidés.
Ce fut également le point de départ d’une grande association consacrée à cette famille : L’Association France Cichlid (AFC).
– Quel fut votre plus beau voyage ?
L’un des voyages les plus intenses eut lieu en 1992 dans la région des grands lacs africains. Durant six semaines, nous avons arpenté les rives des lacs Tanganyika, Kivu et Victoria, et nous avons exploré des zones magnifiques de nature préservée.
Un jour nous pêchions au lac Kivu, et le lendemain nous « montions aux gorilles » dans les montagnes voisines à plus 3000 mètres d’altitude !
L’un des évènements les plus marquants eut lieu dans le parc national de Kahuzi Biega en RDC où nous nous sommes retrouvés à deux mètres d’un gorille des montagnes (Gorilla beringei). Devant de tels animaux, je peux vous affirmer qu’on n’en mène pas large, mais l’émotion est intense et le taux d’adrénaline explose!
Une autre expérience incongrue eut lieu au Mexique avec Jean-Claude Nourissat en 1981. Lors d’une partie de pêche au filet, nous avons remonté un serpent très venimeux, un mocassin d’eau, que j’avais à première vue confondu avec un Synbranchus marmoratus aux formes d’anguille !
– Et vos plus belles découvertes ?
Les plus belles découvertes furent les premiers cichlidés d’Amérique centrale (observés en 1981). A l’époque, Nous ne connaissions ces spécimens que sur le papier. Mon premier cichlidé « passionnel » fut le Petenia splendida. Nous avons eu la chance de voir plusieurs spécimens dans le lac barrage de la « Presa Miguel Aleman » sur le Rio Tonto à Temascal au Mexique.
Lors des premiers voyages, nous fûmes, avec Jean-Claude, constamment émerveillés lorsque nous trouvions une espèce nouvelle pour l’aquariophile ou pour la science. Mais surtout, ce qui nous importait était de rapporter en France ces nouvelles espèces vivantes, que nous propagions par la suite dans le monde aquariophile. Nous étions lassés de nous cantonner aux classiques Acara latifrons, Acara rouge ou encore Tilapia mossambica. Ces apports d’espèces nouvelles ont été en grande partie le moteur du succès de l’AFC.
– A ce jour, combien d’espèces de poissons avez-vous décrits ?
J’ai décrit une douzaine d’espèces, principalement en Amérique Centrale.
– Quelle furent les principales difficultés pour réaliser ses descriptions ?
Pour réaliser une description, il est essentiel de comparer le spécimen en cours aux espèces voisines. Les « types » de ces différents poissons ne sont pas toujours directement accessibles et peuvent même se trouver sur d’autres continents ! Un travail préparatoire minutieux est systématiquement nécessaire avant d’entamer la rédaction.
Parfois, la nomenclature est obsolète. De ce fait, il devient nécessaire de travailler sur des groupements de plusieurs espèces. Ce fut notamment le cas après les recommandations de Kullander (1983) pour le groupe des ‘Cichlasoma’ (Amérique Centrale).
– Vous êtes également un aquariophile chevronné. Qu’est-ce que cette passion vous a apporté tout au long de votre vie ?
Cette passion m’a surtout permis de faire de nombreuses rencontres passionnantes. J’ai été de longues années vice-président des Amis de l’Aquarium de Strasbourg (AA 1932) qui est encore aujourd’hui un club très actif. C’est le plus ancien club français d’aquariophilie. De cette association sont issues de nombreuses personnalités influentes comme J. Gery, R. Rothley, G. Matz… Ce club est aussi à l’origine des premiers aquariums collés avec de la silicone, des premiers décors en polystyrène et résine alimentaire…
– L’aquariophilie n’est pas une science exacte, cependant, qu’elles sont, selon vous, les principales règles à suivre pour réussir le maintien d’un poisson en aquarium ?
Déjà, il faut un bon sens critique. Il ne sert à rien de chercher à forcer la Nature. Le bon sens veut que vous mainteniez des espèces dont l’origine est compatible avec les données physico-chimiques de votre eau de conduite. C’est le plus simple.
Évidemment, en investissant dans un osmoseur, le champ de possibilités s’élargit. Il faut avoir quelques notions de chimie (pH, duretés, etc.). Offrir un espace compatible avec la taille de l’espèce choisie. Connaître un peu les mœurs des poissons, surtout leur sociabilité inter et intraspécifique (relations entre les individus d’une même espèce).
Avant tout achat, se renseigner ! Attention ! Sur le net il n’y pas que des bons conseils.
À éviter : les achats « coup de cœur » qui dans la majorité des cas aboutissent à une catastrophe.
Il faut nourrir avec parcimonie, avec une nourriture adéquate et faire des renouvellements d’eau réguliers.
La caractéristique la plus importante est la température. Celle-ci doit être aussi proche que possible de celle du milieu naturel. N’essayez pas de reproduire formellement à l’identique le biotope de l’espèce dans votre aquarium, vous n’y arriverez pas !
– Vous avez longtemps été rédacteur en chef d’Aquarama, une revue spécialisée en aquariophile. Comment s’est passée cette aventure éditoriale ?
J’ai commencé en 1978 à m’occuper de la documentation à la Revue Aquarama. À l’époque, j’avais la possibilité de communiquer via « Transpac » avec de nombreuses universités à travers le monde. J’ai œuvré dans cette revue jusqu’en 1988, date à laquelle l’éditeur a cédé le titre à une imprimerie allemande.
Après cet évènement, Il y eut un dilemme ! Le rédacteur en chef, M. J. Teton ne maîtrisait pas l’Allemand. Soit je reprenais la direction de la rédaction, soit la revue s’arrêtait. Je me suis donc lancé dans la poursuite de l’aventure !
Malgré qu’elle n’aie pas été diffusée dans les circuits de presse officiels, la revue a connu un grand succès avec plus de 10 000 abonnés !
En 1993, nous avons cessé de diffuser et je me suis alors investi dans l’édition à l’AFC.
– Avez-vous une espèce de poissons que vous apprécier particulièrement ?
J’ai élevé pendant des années des Tropheus sp Ikola. De même, j’ai maintenu et reproduit une dizaine d’espèces des lacs du Nord-Ouest du Cameroun. Pour le moment je me concentre sur l’élevage de poissons peu connus, parfois encore non décrits d’Amérique avec l’intention de leur consacrer un ouvrage photographique.
Pendant plus de 30 ans, j’ai disposé de 6 000 litres d’eau douce consacrés à l’élevage des cichlidés. J’ai également un faible pour les serpents au grand dam de mon épouse, et pour plusieurs espèces de grenouilles (les dendrobatidés).
– A ce jour, vous avez grandement contribué à la réalisation du modèle Fishipédia. Quelles ont été vos principales motivations ?
A la suite d’échange avec la fédération française d’aquariophilie, association dans laquelle j’œuvre actuellement, l’équipe de Fishipédia m’a contacté dans le but d’interagir avec des spécialistes aquariophiles français.
Leur projet de réaliser un site multimédia sérieux et accessible à l’intention des aquariophiles et des passionnés de poissons a capté mon attention. Il était différent du fatras aqua-numérique qui encombre actuellement la toile.
De plus, je sentais que leur modestie pouvait encore être guidée à l’inverse de toutes ces « grosses têtes » qui se prennent pour les vortex de l’aquariophilie. Leur concept interactif n’a cessé de s’affiner et de s’affirmer.
Je souhaite que les aquariophiles puissent trouver des réponses claires, précises et qui leur évitent les erreurs, voire les catastrophes. De plus, le site est esthétiquement réussi.
Les règles de nomenclature zoologiques sont respectées, ce fut une condition sine qua non à mon implication dans un projet de ce type.
– Merci Robert pour cette interview et merci pour votre implication au sein de notre projet! nous vous souhaitons une bonne continuation pour vos prochaines réalisations.
Découvrir les poissons Fishipédia d’Amérique centrale
Interview réalisée par CHARTRER Benoit, responsable Fishipédia
A propos de l'auteur
Benoit Chartrer est un membre fondateur et pilote le projet Fishipédia. Sorti d'une formation d'ingénieur en physique, il a progressivement changé de spécialisation en se tournant vers les technologies Web. Passionné de voyage et de biologie, il tient également un compte Instagram dédié à la photographie animalière.