Originaires d’Amérique centrale, les Parachromis sont devenus progressivement des envahisseurs de renom. En 2021, De la Floride à Java, en passant par l’Australie et le Brésil, les scientifiques s’alarment sur l’expansion de ces poissons en régions tropicales.
La diffusion de poissons exotiques par l’Homme ne date pas d’hier. Déjà pendant l’antiquité, les carpes sont passées de bassin en bassin jusqu’à atteindre les cours d’eau français.
Généralement, ces diffusions proviennent de l’aquaculture et de la pêche sportive. Parmi les poissons plus connus, on connait bien le black bass, la perche soleil ou encore le tilapia du Nil.
La mondialisation a accentué la densification des échanges et décuplé le phénomène.
Le secteur aquariophile n’est pas épargné. Comme la plupart des poissons d’ornement proviennent des régions tropicales, c’est dans ces régions que les risques sont élevés.
À chaque environnement ces animaux à fort potentiel invasif. Dans les lacs tropicaux du Nicaragua, la palme revient aux vivipares et à des cichlidés piscivores : les Parachromis.
Parachromis : Des gloutons prolifiques
Fin des années 80, leurs belles couleurs et leur caractère ténébreux séduisent les aquariophiles. Partout dans le monde, des passionnés entreprennent la réalisation d’un lit douillet pour les accueillir.
Problème : Les Parachromis ne sont pas des petits poissons d’aquarium colorés qui amusent les enfants. Les petits poissons colorés, ils les gobent d’un coup sec avec leurs larges mâchoires.
Les Parachromis ont tout pour plaire même aux plus novices : ils sont résistants, faciles à reproduire et s’adaptent à tout type de nourriture. Les clés de leur succès sont les mêmes que celles du danger qu’ils représentent.
D’une part, ces cichlidés territoriaux sont des prédateurs voraces qui concurrencent rapidement les espèces autochtones sur la prédation. D’autre part, parmi les cinq espèces décrites, au moins deux peuvent s’adapter à n’importe quel milieu.
Mieux encore. Comme tous les cichlidés, les Parachromis sont des géniteurs d’exception. Pour se reproduire, ils forment des couples soudés et protecteurs. La femelle dépose des milliers d’œufs dans une sorte de nid. Les parents défendront hardiment la zone et les jeunes alevins.
De fait, dans les zones envahies, très rares sont les prédateurs potentiels de ces individus teigneux qui arrivent à dépasser les cinquante centimètres.
Médaille d’or au cichlidé du Managua
Natif du Nicaragua, du Honduras et du nord du Costa Rica*, le cichlidé du managua (P. managuensis) partage des motifs proches du jaguar, également présent dans ces régions. Mesurant une cinquantaine de centimètres à l’âge adulte, il devient vite l’un des poissons centraméricains en vogue auprès des aquariophiles.
Dans la région, avant d’être un poisson d’ornement, c’est avant tout une espèce prisée des pêcheurs sportifs. Il commence tout naturellement son expansion via l’aquaculture et les empoissonnements çà et là dans les pays limitrophes.
Fin du XIXe siècle, il arrive par ces procédés au Guatemala et au Bélize. Quelques années plus tard, il apparaît au Mexique où il fait ces premiers ravages sur les espèces autochtones.
Vingt ans plus tard, il est présent dans tous les pays d’Amérique centrale. Pêcheurs et aquariophiles américains se sont passés le mot. Il fait son apparition dans le commerce et on se partage des jeunes entre passionnés.
Chaque ponte donne lieu a des milliers de jeunes qui survivent en captivité. Les aquariums deviennent trop petits et quelques aquariophiles mal informés finissent intentionnellement ou non par les relâcher dans la nature.
Des populations apparaissent dans les rivières de Californie, puis en Floride, à Hawaï, en Arizona… Pendant les décennies suivantes, l’invasion se poursuit dans les Amériques mais les eaux trop froides d’Europe sont épargnées.
Début des années 2000, l’espèce connait un nouvel essor. Le poisson apparait dans les commerces d’Amérique du Sud et d’Asie. Il arrive d’abord aux Philippines, puis à la Réunion et au Brésil dans les environs de Rio.
Sans prendre garde, les îles des Caraïbes sont touchées à leur tour. On ignore encore aujourd’hui sur combien d’entre elles le poisson est présent. Et ça continue. En 2013, il apparaît à Java et en Chine, puis à l’île Maurice, à Singapour, en Australie et en Malaisie.
Après être devenu officiellement nuisible aux États-Unis d’Amérique, en Australie et au Mexique, les scientifiques lancent l’alerte en Indonésie et au Brésil.
Quand un animal participe à la disparition de dizaines d’autres
Tapez le terme « cichlidé du Managua » sur les moteurs de recherche, vous trouverez des centaines de sites qui traitent de sa maintenance et de son élevage. Mais vous ne verrez que très peu d’information sur les risques représentés pour la biodiversité.
On répand dans le commerce un poisson d’ornement qui, dans le même temps, peuvent aisément participer à l’anéantissement de poissons autochtones… Parfois eux-mêmes adulés des passionnés.
De fait, en l’absence de comportements responsables de la part de tous, sans le moindre compromis, il existe peu de solution avec les animaux à risque si on souhaite préserver la biodiversité. Car malheureusement, une fois établies, ces espèces sont impossibles à éradiquer.
« Aujourd’hui, d’après l’IUCN, parmi les 3 000 poissons officiellement menacés, plus de 1 000 risquent la disparition à cause d’un envahisseur. »
Pendant longtemps, nous n’avons remarqué que les conséquences de l’arrivée d’un envahisseur. Comme la raréfaction d’une espèce ou la détérioration d’un écosystème. Aujourd’hui, d’après l’IUCN, parmi les 3 000 poissons officiellement menacés, plus de 1 000 risquent la disparition à cause d’un envahisseur.
Certains pays ont choisi la mise en place de législations strictes, comme l’Australie qui a été historiquement durement touchée par des invasions successives.
Ce qui a motivé cette législation ? La prolifération dans les écosystèmes locaux de poissons d’aquarium relâchés dans la nature. Platys, xiphos, tilapias, Cichla… et notre cichlidé jaguar.
Concernant les Parachromis, combien d’espèces vont devoir disparaître pour qu’une solution globale soit envisagée ?
Sources
- Cabi – Parachromis managuensis (guapote tigre)
- Plagioscion squamosissimus (Sciaenidae) and Parachromis managuensis (Cichlidae): a threat to native fishes of the Doce River in Minas Gerais, Brazil Lucas C Barros 1, Udson Santos, José C Zanuncio, Jorge A Dergam
- Feeding Habits of Marsela Fish (Parachromis managuensis) In Penjalin Reservoir Brebes, Central Java Dewi Kresnasari, Anggun Dwita Darajati
- DNA barcoding of the ichthyofauna of Taal Lake, Philippines SEAN V. L. AQUILINO JAZZLYN M. TANGO IAN K. C. FONTANILLA ROBERTO C. PAGULAYAN ZUBAIDA U. BASIAO PERRY S. ONG JONAS P. QUILANG
- RESENDE, Amanda Graziele Araújo; FRANCA, Elton José de; OLIVEIRA, Cícero Diogo Lins de and SANTANA, Francisco Marcante. Maturity, growth and natural mortality rate of the introduced fish Parachromis managuensis (Perciformes: Cichlidae) in the semiarid region of Brazil. Acta Limnol. Bras. [online]. 2020, vol.32 [cited 2021-02-21], e29.
- CALACADEMY
- FAO – Cichlasoma managuense – from Nicaragua to Honduras
- FAO – Cichlasoma managuense – from Nicaragua to El Salvador
- FAO – Cichlasoma managuense – from Nicaragua to Cuba
- FAO – Cichlasoma managuense – from El Salvador to Guatemala
- FAO – Cichlasoma managuense – from Costa Rica to Panama
- FAO – Cichlasoma managuense – from unknown to United States of America
- FAO – Cichlasoma managuense – from Taiwan Province of China to China
- FAO – Parachromis managuensis – from (unknown) to Philippines
- FAO – Parachromis managuensis – from (unknown) to Singapore
- FAO – Parachromis managuensis – from (unknown) to Mexico
Photographies – Bannières
Poisson Parachromis dovii © Kevin Dickinson
A propos de l'auteur
Benoit Chartrer est un membre fondateur et pilote le projet Fishipédia. Sorti d'une formation d'ingénieur en physique, il a progressivement changé de spécialisation en se tournant vers les technologies Web. Passionné de voyage et de biologie, il tient également un compte Instagram dédié à la photographie animalière.