Septembre 2020, sud-ouest du Brésil. Dans l’ombre de l’Amazonie, de larges régions du Pantanal se meurent. D’après l’Institut brésilien de l’environnement et des ressources naturelles renouvelables (IBAMA), plus de deux millions d’hectares sont partis en fumée depuis le début de l’année. Et la situation pourrait s’accentuer en octobre si la pluie n’arrive pas.
Les raisons de la catastrophe sont multiples : sécheresse exceptionnelle, protection environnementale laxiste, plantes invasives, réduction des moyens dans les parcs et instances écologiques du pays… La région, qui attire chaque année des photographes naturalistes du monde entier, pourrait être longuement affectée.
Un milieu exceptionnel
Inscrit à l’UNESCO au début des années 2000, le Pantanal accueille la plus grande concentration d’animaux sauvages des Amériques. L’ara hyacinthe, espèce en danger et plus grand perroquet du Brésil, y a trouvé refuge. Tout comme les jaguars, caïmans et cerfs des marais.
Dans les rivières, on rencontre deux animaux emblématiques menacés : la loutre géante et l’anaconda jaune.
Le Pantanal, c’est aussi une région remarquable pour les passionnés d’aquarium et de poissons tropicaux. C’est la maison de dizaines d’espèces de poissons iconiques d’Amérique du sud comme les piranhas, les néons noirs, les raies d’eau douce ou encore les veuves noires.
À la croisée des mondes
Le Pantanal s’étend sur près de 200 000 km². C’est l’équivalent du nord de la France, de la Bretagne au Grand Est. Cette écorégion est composée de prairies et savanes inondées réparties sur trois pays : le Brésil, la Bolivie et le Paraguay.
Les écosystèmes y sont variés : forêts terrestres et semi-immergées, corridors de rivières, zones humides et marais, plaines herbeuses périodiquement inondées.
La plus grande partie se situe au Brésil, entre les états du Mato Grosso do Sul et du Mato Grosso. Par leur position reculée et leur manque d’accessibilité, les zones brésiliennes ont longtemps prospéré à l’écart de la civilisation. Mais, depuis quelques années, ces terres sont peu à peu rognées par les exploitations agricoles.
Un hotspot de la biodiversité aquatique
La saison humide dure 4 mois, entre décembre et mars. Durant cette période, les cours d’eau recouvrent jusqu’à 80% du territoire, faisant de la zone la plus grande plaine inondée au monde.
Sources du Rio Paraguay, les eaux sont foisonnantes de vie. Elles abritent une forte densité de petits poissons tropicaux. On compte, entre autres, de nombreux espèces de cichlidés, de tétras et de poissons-chats.
Plusieurs espèces d’Apistogramma, de Corydoras et de Loricaria vivent proches des feuilles en décomposition. Près des berges et des plantes aquatiques, on rencontre les tétras sang et les veuves noires. En pleine eau, les traíras (Hoplia sp.) et les dourados (Salminus brasiliensis) sont en chasse.
La région est aussi connue pour abriter la plus grande collection de plantes aquatiques au monde. L’intensification des sécheresses pourrait à terme menacer l’ensemble de ces riches écosystèmes.
La région est marquée par une période de sécheresse saisonnière pendant laquelle une partie des poissons meurent naturellement. Mais depuis une dizaine d’années, ce phénomène s’intensifie. Avec un doublement des marais asséchés par rapport à 2019, les poissons subissent des records de mortalité.
La plus haute concentration de jaguars des Amériques
C’est au Pantanal que les jaguars atteignent leur taille maximale (1,85 mètre). Dans ces marais riches en proies, le superprédateur peut peser jusqu’à 150 kg, plus du double de ses cousins d’Amérique centrale.
Situé au carrefour des fleuves Cuiabà et Piquiri, le parc Encontro das Águas était connu pour accueillir la plus grande concentration de jaguars au monde.
En septembre, il a subi de plein fouet la vague de feu. Avec 98 000 hectares sur les 108 000 détruits, 85% du refuge a été détruit par les incendies. Une partie des animaux ont été secourus mais on ignore combien ont péri sous les flammes.
Outre le jaguar, de nombreux mammifères vivent dans ces terres : son petit frère l’ocelot, le singe hurleur, le tatou, le fourmilier géant…
À ces noms s’ajoutent des dizaines d’espèces peu connues en Europe comme le chien des bois, dernier représentant de son genre sur Terre.
On compte plus de 650 espèces d’oiseaux, représentées par de nombreux perroquets, colibris, passereaux et rapaces. C’est également la zone où réside la plus forte concentration de caïmans en Amérique du sud.
2020 : une situation hors de contrôle
La catastrophe a avant tout été provoquée par une sécheresse exceptionnelle. Pendant la saison des pluies, seule la moitié des précipitations attendues est tombée.
Avec 2 500 feux, les deux premières semaines d’août ont enregistré une hausse de 240% par rapport à la même période l’an dernier. En tout, entre 10 et 12% du Pantanal est déjà parti en fumée depuis janvier.
La baisse des précipitations pourrait être directement liée à la déforestation de l’Amazonie. La situation empirant du côté du poumon vert de la planète, le scénario pourrait se reproduire et s’accentuer à l’avenir.
«Il est trop tôt pour savoir si la sécheresse observée ces dernières années dans le Pantanal est directement liée à ce phénomène, mais il est indéniable que des personnes qui, comme moi, ont grandi dans la région, ont pu observer clairement les changements climatiques », explique Vinicius Silgueiro.
L’ingénieur forestier de l’Institut Centro de Vida (ICV) évoque une autre cause à l’intensité des feux. Selon lui, «le remplacement de nombreuses plantes indigènes par d’autres destinées au pâturage » a affaibli la résistance de la végétation.
Comme le souligne Silgueiro, la plupart des départs de feu sont d’origine humaine, volontaire ou non. Avec l’allègement de la réglementation environnementale, de nombreux propriétaires agricoles utilisent le feu pour défricher la terre et agrandir leurs exploitations.
Selon lui, cette pratique se poursuit encore aujourd’hui en raison du «sentiment d’impunité » qui prévaut à cause du «manque de ressources des agences publiques de protection de l’environnement ».
Aujourd’hui, nombreuses sont les voix à s’inquiéter de la situation. Tasso Azevedo, responsable de Mapbiomas, craint que cette sécheresse ne devienne une « nouvelle normalité ».
D’autant plus que Bolsonaro et son équipe ne semblent pas prendre très au sérieux la situation. En août, une vidéo montrant le président se moquer ouvertement de la catastrophe, en conseil des ministres, avait suscité l’indignation de nombreux Brésiliens.
Dans les zones touchées, les riverains sont venus en nombre prêter main forte aux pompiers, avec des résultats mitigés.
Même l’aide de l’armée en août n’a pas permis de reprendre l’ascendant sur les feux.
Pour Juliana Camargo, présidente d’AMPARA Animal, une ONG dédiée à la protection d’espèces menacées, la situation est désespérante. « Beaucoup de personnes qui combattent l’incendie nous disent : il n’y a rien à faire, tout brûlera », précise-t-elle. Seules les pluies tant attendues pourraient mettre un terme à l’épisode.
Felipe Dias est directeur exécutif de l’institut SOS Pantan. Présent dans la région depuis plus de vingts ans, cet homme de terrain n’a jamais connu pareille situation. Selon lui, dans les zones touchées, « très peu d’animaux survivent et beaucoup ont des conséquences mortelles (…) ou meurent de soif ou de faim ». Pour éviter ça, de nombreux volontaires disséminent à présent des rations de nourritures pour aider les grands animaux à survivre une fois l’incendie passé.
« Pour garantir un avenir à ce lieu exceptionnel, il est primordial que le tourisme se poursuive »
La richesse de la biodiversité a peu à peu transformé la région en zone d’écotourisme, réduisant par la même occasion l’expansion des fermes agricoles et la chasse illégale des grands animaux.
Guides, propriétaires de gîtes et tous les locaux qui dépendent de l’écotourisme ont passé l’été sur le qui-vive.
Ils s’inquiètent des mauvaises répercussions que pourrait avoir la médiatisation des incendies sur l’avenir de la région.
Larissa encadre des séjours photographiques dédiés à la faune locale, en particulier les jaguars. Pour elle, « Bien sûr, la situation est compliquée mais le Pantanal n’est pas mort et la nature est résiliente. Pour garantir un avenir à ce lieu exceptionnel, il est primordial que le tourisme se poursuive. ».
En assurant des revenus à de nombreux locaux, l’activité centrée sur la découverte de la nature est la plus à même d’assurer de manière pérenne la conservation et la protection de cet hotspot de biodiversité.
Si vous souhaitez aider
L’équipe de Fishipédia a pu entrer en contact avec des acteurs sur place. Les incendies sont encore en cours.
Il est possible de faire un don pour aider des ONG sur place qui tentent de sauver un maximum d’écosystèmes et d’animaux.
INSTITUT DE CONSERVATION DES ANIMAUX SAUVAGES (ICAS)
L’institut a été crée pour soutenir des projets de conservation qui favorisent la biodiversité au Brésil. L’objectif principal de l’ICAS est la conservation de deux espèces emblématiques de la faune du Pantanal : le tatou géant et le fourmilier géant. Cliquez ici pour en savoir plus.
SOS PANTANAL
L’Instituto SOS Pantanal dépend de partenariats et de dons pour maintenir sa structure et mener ses activités. Ceux qui y contribuent soutiennent des actions visant la durabilité sociale, environnementale et économique du bassin du Haut Paraguay, qui abrite le Pantanal. Pour faire un don, accédez à ce lien.
Terrestrial and aquatic mammals of the Pantanal
Introduced species in the Pantanal: implications for conservation
A propos de l'auteur
Benoit Chartrer est un membre fondateur et pilote le projet Fishipédia. Sorti d'une formation d'ingénieur en physique, il a progressivement changé de spécialisation en se tournant vers les technologies Web. Passionné de voyage et de biologie, il tient également un compte Instagram dédié à la photographie animalière.