Depuis quelques jours, l’invasion des Channa aux Etats-Unis fait beaucoup parler d’elle. Ces prédateurs dont la tête rappelle un serpent font l’objet de nombreux fantasmes, y compris dans les médias français. On fait le point.
L’origine des invasions
On compte pas moins de 39 espèces de Channa recensées dans le monde. Toutes proviennent d’Asie tropicale et subtropicale. Un genre cousin, appelé Parachanna, compte plusieurs espèces exclusivement africaines.
Parmi cette famille de prédateurs, certains individus peuvent mesurer près de deux mètres. Robustes et se reproduisant facilement, les plus grandes espèces font l’objet d’élevage dans des fermes d’aquaculture à travers le globe.
Aux Etats-Unis et en Europe, ces poissons jouissent également d’une forte notoriété chez les aquariophiles.
D’après plusieurs articles scientifiques américains, les Channa acclimatés aux Etats-Unis proviennent de la libération de poissons par des aquariophiles ou par des pêcheurs. Cette pratique, que nous récusons formellement, est à l’origine d’un nombre croissant de perturbations dans les écosystèmes à travers le monde.
Invasion des Channa : plusieurs espèces concernées
Contrairement à ce qui est parfois relaté, l’invasion concerne plusieurs espèces distinctes de poisson. L’espèce mise en lumière dans les médias est le Channa argus dont la large propagation inquiète les Etats-Unis.
Channa argus
Initialement, ce poisson se rencontre de la Chine à la Sibérie méridionale. Aux Etats-Unis, les premières observations en milieu naturel ont eu lieu en 1997 en Californie. Les premières reproductions documentées datent de 2002, dans un étang du Maryland.
Après une vingtaine d’années, l’espèce s’est largement diffusée et devient un problème majeur pour les écosystèmes. Une étude publiée en 2018 a montré la présence de ce poisson autour de la rivière Potomac ainsi que dans le bassin du Mississippi (Arkansas). L’espèce pourrait être présente sporadiquement sur près de 2.000 kilomètres.
Channa aurolineata (ancien marulius) – Poisson à tête-de-serpent de Floride
Cette espèce provient du bassin du Mékong. Les populations étudiées sont très proches des individus rencontrés dans l’ouest de la Thaïlande. D’affinité tropicale, elle est cantonnée au sud de la Floride, dans une région déjà en proie à de nombreuses invasions. Les premiers recensements datent de 2000.
Pouvant atteindre plus d’1 mètre 80, c’est l’un des plus grands poissons à tête-de-serpent.
Des prédateurs puissants capables de respirer l’air ambiant
Lorsqu’une espèce intègre un nouvel environnement, des études sont réalisées sur son potentiel envahisseur à partir des critères suivants : capacité de dispersion, limites physiologiques, compétitivité dans les milieux et voies de propagation.
Les Channa sont des poissons très robustes, capables de tolérer un large éventail de conditions environnementales. Ils possèdent des chambres supra-branchiales situées au niveau des branchies. Ces chambres, appelées couramment « labyrinthes », servent à respirer l’oxygène de l’air à la surface. Outre leur résistance au manque d’oxygène, ce sont des prédateurs voraces qui atteignent rapidement la maturité sexuelle. Ce cocktail de caractéristiques inquiète les spécialistes américains. Ils doutent qu’une éradication totale de l’espèce soit possible.
Bien qu’ils puissent être effrayants, ils sont inoffensifs pour l’Homme.
Les eaux mondiales bientôt envahies par les Channa ?
La problématique des Channa n’est pas spécifique aux Etats-Unis. Actuellement, les Philippines comptent au moins deux espèces de Channa invasives : Channa striata et Channa micropeltes. La première, arrivée par le biais de l’aquaculture, s’est acclimatée dans l’ensemble des cours d’eau et menace grandement la fragile biodiversité endémique des îlots.
De l’autre côté du globe, plusieurs Channa pourraient déjà avoir commencé à coloniser les eaux brésiliennes. Depuis 2018, cinq d’entre elles sont interdites d’importation dans le pays.
En Europe, le Channa argus est sur la liste des espèces à interdire pour prévenir d’une éventuelle invasion. En France, la Fédération Française d’Aquariophilie (FFA) appuie l’interdiction à l’importation de trois espèces qui pourraient potentiellement se répandre dans nos écosystèmes : Channa argus, Channa bleheri et Channa maculata.
En 2014, pendant les premiers débats autour du Channa argus dans l’UE, un curieux poisson était capturé dans un lac de Toscane : Channa micropeltes, une espèce de Channa indonésienne, encore jamais répertoriée en Europe…
- Biodiversity and Conservation September 2018, Volume 27, Issue 11, pp 3037–3046 | Cite as Invasive aquatic pets: failed policies increase risks of harmful invasions
- Identifying the genetic structure of introduced populations of northern snakehead (Channa argus) in Eastern USA, Aquatic Invasions (2016) Volume 11, Issue 2: 199–208
- The Mae Khlong Basin as the potential origin of Florida’s feral bullseye snakehead fish (Pisces: Channidae), RAFFLES BULLETIN OF ZOOLOGY 67: 403–411
- Invasive aquatic pets: failed policies increase risks of harmful invasions, Biodiversity and Conservation
- Invasive alien species (IAS): Concerns and status in the Philippines, Philippine Rice Research Institute (PhilRice) Maligaya, Science City of Muñoz, Nueva Ecija 3119, Philippines
- Genomic analyses of Northern snakehead (Channa argus) populations in North America, Carlee A. Resh, Matthew P. Galaska, Andrew R. Mahon
- BioInvasions Record . Nov 2018, Vol. 7 Issue 4, p451-457. 7p. BioInvasions Records (2018) Volume 7, Issue 2: 205–210
- THE FIRST EUROPEAN RECORD OF THE INDONESIAN SNAKEHEAD, CHANNA MICROPELTES (ACTINOPTERYGII: PERCIFORMES: CHANNIDAE). Source: Acta Ichthyologica et Piscatoria . 2014, Vol. 44 Issue 2, p153-155. 3p.
- Horizon scanning for invasive alien species with the potential to threaten biodiversity and human health on a Mediterranean island, Biol Invasions
A propos de l'auteur
Benoit Chartrer est un membre fondateur et pilote le projet Fishipédia. Sorti d'une formation d'ingénieur en physique, il a progressivement changé de spécialisation en se tournant vers les technologies Web. Passionné de voyage et de biologie, il tient également un compte Instagram dédié à la photographie animalière.